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Multicultural Challenges
5 novembre 2016

Une heure au tribunal de Carrefour

Dans cette maison familiale, louée par l’Etat haïtien pour loger le tribunal de Carrefour, les justiciables doivent s’adapter. Les avocats évoquent des conditions de travail éprouvantes. Reportage

Non loin de Waney 91, sur la grand-rue de la commune-dortoir de Carrefour, le ciel étale une longue toile grise illuminée par quelques rayons de soleil. L’air est humide. Les gaz d’échappement des automobiles circulant dans les deux sens se mêlent à une odeur de fumée ocre.

En face, une grande maison, dont la peinture blanche a été noircie par l’usure du temps, abrite le tribunal de paix. Dans la cour, des hommes, des femmes et des enfants, dont certains accompagnés de leurs parents, sont en faction.

Des proches déboussolés

L’anxiété et la mauvaise humeur sont visibles dans cet espace cimenté en pente. Astrel Jean, dans la trentaine, pantalon jeans délavé et chemise à carreaux, est venu suivre le procès de sa mère. Celle-ci a porté plainte contre son logeur pour agression physique suivie de blessures.

Astrel est posté dehors et n’a pas la moindre idée de ce qui se passe dans la salle d’audience. Sa petite sœur, tout aussi inquiète, est à ses côtés. Au bord des larmes, son regard affiche une profonde détresse.

Comme son frère, son  esprit est entre les quatre murs de la salle d’audience, en ce lundi 19 novembre 2012. « Nous ne savons pas si nous obtiendrons justice. Car ici, ce sont ceux qui ont de l’argent qui gagnent les procès », affirme Astrel d’une voix lugubre.

Tout, sauf le confort

Sous la galerie du bâtiment, un employé du tribunal est assis derrière une longue table sur laquelle les visiteurs doivent déposer une pièce d’identité avant de s’engager dans le long couloir qui mène au cœur du  tribunal.

Neuf bureaux étroits et sans éclairage répartis entre les juges. Dans une pièce attenante séparée par une cloison métallique, un juge assis est entouré d’avocats debout.

De l’autre côté de ce séparateur, quelques rares parents d’accusés et des curieux. Ça bavarde comme sur la place du marché. Ce chahut est loin de susciter la désapprobation du juge, qui a une voix qui porte.

Des avocats remontés

Ici, la chaleur se mêle à l’absence  d’aération, au bruit et à l’étroitesse de ce lieu de jurisprudence. Les avocats, jeunes pour la plupart, transpirent dans leurs vestes sombres. Des promeneurs internes sillonnent les couloirs, d’un bureau à un autre.

« On a une culture d’adaptation. Même quand c’est inacceptable, on l’accepte », lâche Me Enorsch, qui ajoute ne pas comprendre qu’une commune de la taille de Carrefour ait un seul tribunal, sans infrastructures ni électricité. Pour lui, ce sont des images du Moyen Age grandeur nature.

« Nous avons besoin d’une autre mentalité. D’avocats qui n’acceptent pas n’importe quoi. Le changement est possible et concerne tous les corps du pays », indique-t-il dans cette salle plongée dans une semi-obscurité en plein jour

Me Phaïton est un habitué de ce tribunal communal. Il plaide pour l’insertion, par les décideurs dans le budget national, d’une enveloppe importante pour les différents tribunaux. Il prône un changement radical dans le fonctionnement de ces offices.

« Procéder à ces ajustements tant attendus, tant par la population que par les avocats. En agissant ainsi, le droit aura été appliqué », renchérit-il sans sourciller.

13h 47. La chaleur augmente au-dedans. La foule grossit dans la cour. La maman d’Astrel Jean le rejoint dehors. Rien n’aurait encore été décidé dans ce labyrinthe. A pas feutrés, des « raquetteurs de tribunaux » déambulent et parlent à des proches de justiciables.

Ils en repartent et atterrissent dans les couloirs internes. Ceux qui  espèrent mieux pour les leurs à l’extérieur semblent toujours dans l’expectative.

Ils  sont loin de savoir quel sort est réservé à la fois aux accusés et aux plaignants, dans ce grand carré de béton. La journée est loin de s’achever sous un soleil pourfendeur. Les inquiétudes aussi.

 

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