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Multicultural Challenges
2 novembre 2016

L’isolement linguistique d’Haïti, un frein à son intégration dans la région

 

Cela paraît surprenant d’aborder la question linguistique en Haïti au XXIème siècle. Mais mieux vaut tard que jamais. Regard sans fard sur un cas d’espèce.

 

Entouré d’îles  qui n’ont rien à voir avec le Français de Molière ou le Créole de Toto Bissainthe, Haïti est condamné à se définir. Sur le plan interne, le Créole est la langue maternelle des 9.648.924 habitants. Le français est parlé avec plus ou moins d’aisance par  52% de la population.

 

Si l’on passait au crible ce chiffre, on retiendrait à peine la moitié. Soit quelque 25% des citoyens pouvant s’exprimer de manière intelligible dans la langue des Francs. C’est dire donc que des ajustements s’imposent. L’enfant haïtien baigne dans un environnement créolophone quasi permanent : à  la maison, dans la rue et même dans la cour de l’école ou dans la salle de classe.

 

Parler Français sent du luxe. Cela est d’autant plus vrai dans les transports en commun, les commerces, les services publics ou sur la place du marché. Dans les bus, les passagers vous accusent souvent de jouer au petit bourgeois, quand vous parlez Français. Pour être confortable, il serait convenable de d’adresser aux autres dans la vraie langue du pays...

 

L’une des plus grandes contradictions d’Haïti est basée sur le mode de communication le plus correct: tout le monde maîtrise le créole, mais l’autre langue est parfois l’apanage d’une élite nostalgique de la « douce France » et de ses muses. L’Anglais est parlé avec un excellent accent américain dans certaines familles aisées ou non qui ont vécu aux States ou appris la langue sur place.

 

Une fois hors d’Haïti, on laisse derrière soi les deux langues du pays. En République dominicaine, l’Espagnol devient l’outil linguistique obligatoire. La culture haïtienne disparaît des radars médiatiques. Même constat à la Jamaïque voisine ou à Cuba. Si on s’éloigne un peu, on se retrouve dans les petites Antilles.

 

Là-bas, le locuteur lambda peut s’enorgueillir de retrouver des créolophones et des francophones à la Martinique, la Guadeloupe, en Guyane française aux portes de l'Amerique du Sud. Mais on est pourtant bien loin des intérêts immédiats d’Haïti. Et la relation n’est pas des plus idylliques non plus. Certes, de nombreux immigrants haïtiens y vivent. Mais quand on descend en Amérique Latine, la langue de Cervantès reprend ses droits.

 

Si vous participez à un séminaire dans la région, tout se passe soit en Espagnol, soit en Anglais. Les commerçants et les commerçantes du secteur informel qui s’y rendent sont confrontés aux mêmes réalités.

 

Mais pourtant en Haïti, les médias sont bilingues et regorgent de programmes  dans les deux idiomes nationaux Les illettrés entendent le Français, mais ne comprennent pas toutes ses susceptibilités. Ils ne maîtrisent pas toujours l’orthographe et la grammaire.

 

« Haïti est trop loin de la France pour s’intéresser à une langue qui rappelle la souffrance et l’oppression », me disait un ami, il y a quelques années.   Avec un peu de recul, son message a eu pignon sur rue dans ma pensée. La querelle des anciens et des modernes autour de l’idiome préférentiel n’a toujours pas commencé dans une île  où foisonnent des hommes de plume de tous les gabarits.

 

Haïti devrait se mettre à l’Espagnol ou à l’Anglais pour transformer son image linguistique. Le Créole est déjà un acquis et ne pose pas problème. Cette idée pourrait susciter des grincements de dents, dans un contexte géopolitique marqué par des frictions épisodiques entre Haïti et la République Dominicaine.

 

A l’heure où l’on parle d’une mainmise à peine voilée du puissant voisin de l’Est sur son rival de l’Ouest, d’aucuns pourraient  même crier au loup... S’imbriquer de la langue de l’autre permet de mieux l’affronter et de se positionner au même pied d’égalité, voire de lui imposer ses vues en toute quiétude.

 

Nous le soulignons encore : très peu d’Haïtiens utilisent le français. Ceux qui le peuvent se livrent à un rude exercice, car ils ne sont compris que par une minorité.

 

Atteindre l’objectif  proposé relève de la gageure. Il y a un coût politique, économique et social. La question divisera les opinions publiques comme à l’accoutumée. Les intellos de tout poil et autres suppôts de la société passeront plus de temps à parlementer dans les médias qu’à trouver des solutions consensuelles.  

 

Les uns accuseront les autres de vouloir liquider le pays. L’argent frais pour initier des réformes ne sera pas disponible. Quel pays étranger « ami » assurera la facture ? En guise de réponse, la France éternuera.

 

Faute de ressources pour avancer dans le bon sens, la volonté politique et la cohésion des idées devraient trouver des réponses à ce défi. Car, en 212 ans d’indépendance, les Haïtiens ont idéalisé une langue qui n’a pas ouvert toutes les portes du progrès. Même si c’est la machine humaine, les choix économiques, la bonne gouvernance et le pragmatisme qui peuvent mener a un succès digne de ce nom.. Dites ce que vous vous voulez…

 

A quelque exception près, l’Afrique francophone patauge encore par rapport à ses paires anglophones. La distance n’a, sans doute, pas permis aux élites africaines de suivre à la loupe ce qui se passait en Haïti.

 

En 1960, quand la majorité des pays de l’Afrique subsaharienne sont à l’an zéro des indépendances, la République d’Haïti a déjà 156 ans.  En l’an 2010,  alors que bon nombre d’Etats africains célèbrent 50 ans de « dépendance continue », Haïti souffle ses 206 bougies de «survie continue ».

 

Rien de moins reluisant. Nos élites se complaisent encore dans la rhétorique de la facilité et de la naïveté.  Il y a un malaise quelque part. Peut-être utilisons-nous des outils mal adaptés à nos cultures.

Belmondo Ndengué

Haiti and its neighbors

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